MAXIMILIEN ROBESPIERRE Il
faut se rappeler que les Gouvernements, quels qu'ils soient, sont établis par
le Peuple & pour le Peuple ; que tous ceux qui gouvernent, & par
conséquent les Rois eux-mêmes, ne sont que les mandataires & les délégués
du peuple
Contre le veto royal,
soit absolu, soit suspensif 1789-09-30
Messieurs,
Tout
homme a part sa nature, la faculté de se gouverner par sa volonté ; les hommes
réunis en Corps politique, c'est-à-dire, une Nation, a par conséquent le même
droit. Cette faculté de vouloir commune, composée des facultés de vouloir
particulières, ou la Puissance législative, est inaliénable, souverine &
indépendante, dans la société entière, comme elle l'était dans chaque homme
séparé de ses semblables. Les loix ne sont que les actes de cette volonté
générale. Comme une grande Nation ne peut exercer en corps la Puissance
législative, & qu'une petite ne le doit peut-être pas, elle en confie
l'exercice à ses Représentans, dépositaires de son pouvoir.
Mais
alors il est évident que la volonté de ces Représentans doit être regardée
& respectée comme la volonté de la Nation ; qu'elle doit en avoir
nécessairement l'autorité sacrée & supérieure à toute volonté
particulière,puisque, sans cela, la Nation, qui n'a pas d'autre moyen de faire
les Loix, serait en effet dépouillée de la Puissance législative & de sa Souveraineté.
Celui
qui dit qu'un homme a le droit de s'opposer à la Loi, dit que la volonté d'un
seul est au-dessus de la volonté de tous. Il dit que la nation n'est rien,
& qu'un seul homme est tout.S'il ajoute que ce droit appartient à celui qui
est revêtu du Pouvoir exécutif, il dit que l'homme établi par la Nation, pour
faire exécuter les volontés de la Nation, a le droit de contrarier &
d'enchaîner les volontés de la Nation ; il a créé un monstre inconcevable en
morale & en politique, & ce monstre n'est autre que le veto
royal.
Par
quelle fatalité cette étrange question est-elle la première qui occupe les
Représentans de la Nation Française, appelés à fonder la liberté sur des bases
inébranlables ! Par quelle fatalité lep remier article de cette Constitution,
attendue avec tant d'intérêt par toute l'Europe, & qui semblait devoir être
le chef-d'oeuvre des lumières de ce siècle, sera-t-il une Déclaration de la
supériorité des Rois sur les Nations, & de la proscription des droits
sacre=és & imprescriptibles des Peuples ! Non... c'est en vain qu'on
regarde, comme décidée d'avance, cette bizarre & funeste Loi ; je n'y
croirai point, puisqu'il m'est permis d'en montrer l'absurdité en présence des
Defenseurs du Peuple, & aux yeux de la Nation entière.
Les
nombreux partisans du veto, forcés à reconnaître qu'il est en effet contraire
au principes, prétendent qu'il est avantageux de le sacrifier à de prétendues
convenances politiques. Admirable méthode de raisonner ! qui substitue aux Lois
éternelles de la justice & de la raison l'incertitude des conjoncture
frivoles, & la subtilité des vains systèmes, dont il semble cependant que
l'expérience funeste de tant de Peuples aurait dû nous défendre. Mais voyons
donc qu'elles sont ces puissantes considérations qui doivent faire taire la
raison elle-même.
Je
ne répondrai point à ceux qui ont cru pouvoir dire que nous n'étions point
appelés pour donner une Constitution à notre Patrie, mais pour affermir celle
dont elle jouissait, suivant eux ; à ceux qui ont d'abord prétendu, pour
contester notre pouvoir, que nous n'étionspoint revêtus de l'autorité de la
Nation, & ensuite ont nié jusqu'à la Souveraineté de la Nation, pour la
concentrer dans la personne du Roi. j'aime mieux oublier que de réfuter ces
maximes, répétées peut-être trop souvent dans cette Assemblée. Mais, puisqu'il
le faut, je rappellerai les premiers principes du Droit public, sans lesquels
il n'est pas même permis de raisonnner sur des questions semblables à
celle-ci.
Il
ne faut plus nous dire continuellement : La France est un Etat Monarchique ;
& faire découler ensuite de cet axiôme les droits du Roi, comme la première
& la plus précieuse partie de la constitution ; & secondairement la
portion de droits que l'on veut bien accorder à la Nation.
Il
faudrait d'abord savoir, au contraire, que le mot Monarchie, dans sa véritable
signification, exprime uniquement un Etat où le pouvoir exécutif est confié à
un seul.
Il
faut se rappeler que les Gouvernements, quels qu'ils soient, sont établis par
le Peuple & pour le Peuple ; que tous ceux qui gouvernent, & par
conséquent les Rois eux-mêmes, ne sont que les mandataires & les délégués
du peuple ; que les Fonctions de tous les Pouvoirs politiques, & par
conséquent de la Royauté, sont des devoirs publics, & non des droits
personnels ni une propriété particulière ; qu'ainsi il ne faut pas se
scandaliser d'entendre, dans l'Assemblée des Représentans de la Nation
Française revêtue du pouvoir constituant, des citoyens qui pensent que la
liberté & les droits de la Nation sont les premiers objets qui doivent nous
occuper, le véritable but de nos travaux, & que l'autorité royale, établie
uniquement pour les conserver, doit être réglée de la manière la plus propre à
remplir cette destination.
Dès
qu'une fois on sera pénétré de ce principe ; dès qu'une fois on croira
fermement à l'égalité des hommes, au lien sacré de la fraternité qui doit les
unir, à la dignité de la nature humaine, alors on cessera de calomnier le
Peuple dans l'Assemblée du Peuple ; alors on ne donnera plus le nom de prudence
à la faiblesse, le nom de modération à la pusillanimité, le nom de témérité au
courage ; on appellera plus le patriotisme une effervescence criminelle, la
liberté une licence dangereuse, le généreux dévouement des bons citoyens une folie
; alors il sera permis de montrer, avec autant de liberté que de raison,
l'absurdité & les dangers du veto royal, sous quelque dénomination &
sous quelque forme qu'on le présente. Alors peut-être ne croira-t-on plus
quenos cahiers nous défendent de le repousser.
Vous
me dites que la plupart de vos Cahier font mention de la Sanction Royale ; je
pourrais vous répondre que la Sanction de la Loi, loin de se confondre avec le
droit de s'opposer à la Loi, l'exclut de la manière la plus formelle. Jepourrais
vous observer que la Sanction n'est autre chose, que l'acte par lequel le
dépositaire du Pouvoir exécutif promet à la Nation de faire exécuter la Loi
& la promulguer & que le moyen qui en garantit l'exécution, ne peut en
être l'obstacle. Mais, de quelque manière qu'il vous plaise d'interpréter ce
mot, en est-il moins certain que la Constitution ne peut pas être le simple
résultat de ces opinions isolées que les Commissaires des Assemblées
Baillagères ont consignées dans des Cahier informes, rédigés à la hâte ? en
est-il moins certain que vous êtes les Représentans de la Nation, & non de
simples porteurs de notes, come vous l'avez vous-mêmes formellement déclaré ?
& de quel droit nous objecteriez-vous cette mention vague de la Sanction
Royale, qui ne contient rien d'impératif ? vous qui, en dépit des mandats
impératifs qui vous disaient de voter par ordre, avez cru néanmoins que des
circonstances impérieuses vous autorisaient à les oublier.
De
quel droit nous objecterez-vous ces Cahiers, vous tous, Députés de toutes les
classes, qui malgré la prohibition la plus formelle de consentir à aucun
emprunt avant que la Constitution fût affermie sur des bases inébranlables,
avez néanmoins pensé que des conjonctures pressantes vous donnaient le droit
d'ouvrir un Emprunt de quatre-vingt millions ? &, quelle qu'ait pu être
alors l'opinion des Electeurs sur cet objet, de quel droit tournerez-vous
contre le Peuple même ces voeux timides pour la liberté qu'il n'osait encore
exprimer qu'à demi ? Hélas ! dans ces temps de servitude, ne croyait-il pas
former une entreprise hardie, en demandant, dans l'Assemblée Nationale, un
nombre de Représentans égal à celui des deux classes privilégiées. Telle était
alors son humiliation, que cette demande si modeste & si contraire à son propre
intérêt, était dénoncée comme l'efet d'une licence coupable, qui menaçait le
Trône & l'Etat du plus funeste bouleversement ; que le Gouvernement même
croyait avoir acquis des droits sans bornes à la reconnaissance & même à
ses libéralités, en lui donnant seulement un nombre de Députés égal à celui de
ses adversaires naturels, sans lui accorder même le misérable avantage de voter
par t^te, sans lequel cette prétendue faveur était absolument illusoire ; mais
aujourd'hui qu'une révolution, aussi merveilleuse qu'imprévue, vient de lui
rendre tous ses droits inviolables dont on l'avait dépouillé, qui pourrait être
assez indifférent à ses intérêt pour soumettre sa volonté souveraine aux
caprices ou aux pasions des Cours ? ... Non, quelque idée que l'on veuille se
former des Cahiers, l'ordre de nous sacrifier pour leur bonheur & pour leur
liberté, & nulle part celui de les assujettir au veto des Ministres.
J'oublie
donc l'objection tirée des Cahiers ; & passant aux seules difficultés qui
aient pu faire une légère impression sur quelques esprits, je les réduits à cet
unique argument :
Les
Représentans de la Nation peuvent abuser de leur autorité, doncil faut donner
au Roi le pouvoir de s'opposer à la Loi.
C'est
comme si l'on disait : le législateur peut errer ; donc il faut
l'anéantir.
Ceci
suppose une grande défiance du Corps législatif, & une extrême confiance
dans le Pouvoir exécutif; il s'agit d'examiner jusqu'à quel point l'une &
l'autre est fondée.
Sans
doute les règles d'une sage politique prescrivent de prévenir les abus de tous
les Pouvoirs par de justes précautions : la sévérité de ces précautions doit
être proportionnée à la vraisemblance & à la facilité de ces abus ; &
par une suite nécessaire de ce principe, il ne serait pas raisonnable
d'augmenter la force du Pouvoir exécutif le plus redoutable, aux dépens du
Pouvoir le plus faible & le plus salutaire.
Maintenant,
comparons la force du Corps législatif à celle du Pouvoir exécutif.
Le
premier est composé de Citoyens choisis par le Peuple, revêtus d'une
Magistrature paisible, & pour un espace borné, après lequel ils rentrent
dans la foule, & subissent le jugement sévère, ou favorable de leurs
concitoyens : tout vous garantit leur fidélité, leur intérêt personnel, celui
de leur famille, de leur postérité, celui du Peuple dont la confiance les avait
élus.
Qu'est-ce
au contraire que le Pouvoir exécutif ? Un Monarque revêtu d'une énorme
puissance, qui dispose des armées, des Tribunaux, de toute la force publique
d'une grande Nation, armé de tous les moyens d'oppression & de séduction :
combien de facilités pour satisfaire l'ambition si naturelle aux Princes,
sur-tout l'hérédité de la Couronne leur permet de suivre constament le projet
éternel d'étendre un pouvoir qu'ils regardent comme la patrimoine de leurs
familles ; calculer ensuite tous les dangers qui les assiègent : & si ce
n'est pas assez, parcourez l'histoire, quels spectacles vous présente-t-elle ?
les Nations, dépouillées par-tout de la puissance législative, devenues le
jouet & la proie des Monarques absolus qui les oppriment & les
avilissent ; tant il est difficile que la liberté se défende long-temps contre
le pouvoir des Rois. & nous qui sommes à peine échappés au même malheur,
nous, dont la réunion actuelle est peut-être le plus éclatant témoignage des
attentats du pouvoir ministériel, devant lequel nos anciennes Assemblées
Nationales avaient dusparu, à peine les avons-nous recouvrées que nous voulons
les remettre encore sous sa tutelle & dans la dépendance.
Les
Représentans des Nations vous paraissent donc plus suspects que les Ministres
& les Courtisans ? Si j'examine quels sont les dangers que vous semblez
craindre de la part des premiers, je crois qu'ils se réduisent à trois espèces
; l'erreur, la précipitation, l'ambition.
Quant
à l'erreur ; outre que c'est un étrange expédient pour rendre le Pouvoir
législatif infaillible, que celui de le rendre nul, je ne vois aucune
raisonpour laquelle les Monarques, en général, ou leurs Conseillers seraient
présumés plus éclairés sur les bsoins du Peuple, ou sur les moyens de les
soulager, que les Représentans du peuple même.
La
précipitation ! Je ne conçois pas non plus que le remède à ce mal soit de
condamner le Corps l"gislatif à l'inaction ; & avant de recourir à un
pareil moyen, je voudrais du moins que nous eussions examiné s'il n'en était
point d'autre qui puisse nous conduire au même but.
L'ambition
! Mais celles des Princes & des Courtisans est-elle moins redoutable ?
& c'est à elle précisément que vous confiez le soin d'enchaîner l'autorité
des Représentans, c'est-à-dire, la seule qui puisse vous défendre contre leurs
entreprises !
Mais
quel service espérez-vous donc, après tout, du veto royal ? celui de prévenir
de mauvaises Lois ? Mais ignorez-vous que la plupart des Rois ont, sur le
mérite des Lois, des idées bien différentes de celles du Peuple ? Qui ne voit
pas que celles qui seront favorables à leurs prétentions leur paraîtront
toujours assez bonnes, & que l'usage du veto ne leur sera réservé que pour
celles dont l'objet sera de défendre les droits du Peuple contre leurs desseins
ambitieux.
Mais,
dit-on, si vous leur refusez le pouvoir de s'opposer à la Loi, ils seront
mécontens, & ils conspireront sans cesse contre la Puissance
Législative.
Ainsi
donc, la majesté & les droits des Nations doivent être immolés à la
satisfaction & à l'orgueil des Princes. Ainsi on croit un homme bien
humilié d'être réduit à la simple puissance de commander, au nom des Lois, à un
vaste empire ; & on suppose qu'il a lieu d'être bien mécontent d'un pareil
partage.
Ils
voudront usurper la Puissance législative : &, pour leur épargner cette
tentation, vous prenez le sage parti de l'abandonner à leur merci ; come si
l'ambition devenait moins redouble, à mesure qu'elle a plus de moyens de
parvenir à son but.
Au
reste, l'absurdité palpable du veto, en général, a produit dans cette
Assemblée, l'invention du veto suspensif ; expression nouvelle, imaginée pour
un système nouveau.
J'avouerai
que je ne n'ai pas encore pu le comprendre parfaitement : tout ce que je sais,
c'est qu'il donne au Roi le droit de suspendre, à son gré, l'action du Pouvoir
législatif pendant une période, sur la durée duquel les opinions ne s'accordent
pas.
Ce
qui m'encourage à combattre cette doctrine, soutenue d'ailleurs par des
très-bons Citoyens, c'est qu'un grand nombre d'entre eux ne m'ont pas dissimulé
que regardant le veto royal, comme contraire aux vrais principes, mais
persuadés qu'il était adopté d'avance, dans toute sa rigueur, par une
très-grande partie de l'Assemblée, ils croyaient que le seul moyen d'échapper à
ce fléau était de se réfugier dans le système du veto suspensif.
Je
n'ai différé de leur sentiment qu'en un seul point : c'est que je n'ai pas cru
devoir désespéré du Pouvoir de la vérité & du salut public ; il m'a semblé
d'ailleurs qu'il n'était pas bon de composer avec la liberté, avec la justice,
avec la raison, & qu'un courage inébranlable, qu'une fidélité inviolable
aux grands principes, était la seule ressource qui convînt à la situation
actuelle des défenseurs du Peuple. Je dirai donc, avec franchise, que l'un
& l'autre veto me paraisent différer beaucoup plus par les mots que par les
effets & qu'ils sont également propres à anéantir, parmi nous, la liberté
naissante.
Et
d'abord, pourquoi faut-il que la volonté souveraine de la Nation cède pendant
un temps quelconque à la volonté d'un homme ? Pourquoi faut-il que les Lois ne
soient exécutées, que longtemps après que les Représentans du Peuple du Peuple
les auront jugées nécessaires à son bonheur ? Pourquoi faut-il que le Pouvoir
législatif soit paralysé, dès qu'il plaira au Pouvoir exécutif ; tandis que
celui-ci peut toujours exercer une activité redoutable à la liberté ? L'opinion
des Ministres qui s'opposent à la Loi, vous paraît-elle plus imposante que
celle de vos Représentans qui l'adoptent ? ou plutôt si l'on pèse toutes les
considérations que j'ai indiquées, cette opposition même ne pourrait-elle pas
paraître une présomption favorable à l'utilité de la Loi & à la fidélité du
Corps législatif ?
Mais,
pendant tous ces délais que vous permettez d'apporter à leurs décrets, qui vous
promettra que les intrigues & l'ascendant de la Cour neprévaudront pas sur
la vérité & l'intérêt public ? Avez-vous calculé toutes les chances des
distractions du Peuple, de cette funeste indolence qui fut toujours l'éceuil de
la liberté, de l'adresse, du pouvoir des Princes habiles & mbitieux ? Nous
répondez-vous qu'il n'arrivera pas un moment où le concours de toutes ces
circonstances sera fatal à la Constitution.
Quelques-uns
aiment à se représenter le veto royal suspensif, sous l'idée d'un appel au
Peuple, qu'ils croient voir, comme un Juge souverain, prononçant sur la Loi
proposée par le Monarque & ses Représentans.
Mais
qui n'apperçoit d'abord combien cette idée est chimérique ? Si le Peuple
pouvait faire les Loix par lui-même ; si la généralité des Citoyens assemblée
pouvait en discuter les avantages & les inconvéniens, serait-il obligé de
nommer des Représentans ? Ce système se réduit donc, dans l'exécution, à
soumettre la Loi au jugement des Assemblées partielles des différents Baillages
ou Districts, qui ne sont elles-mêmes que des Assemblées représentatives ;
c'est-à-dire, à transmettre la puissance législative, de l'Assemblée générale
des Représentans de la Nation, aux Assemblées Elémentaires-particulières des
diverses Provinces, dont il faudrait sans doute recueillier les voeux isolés,
calculer les suffrages variés à l'infini, pour remplacer le voeux commun &
uniforme de l'Assemblée Nationale.
Il
est assez facile de prévoir toutes les conséquences que pourrait entraîner ce
système ; ce qui me paraît évident, c'est qu'il contrarie ouvertement l'opinion
reçue jusqu'ici, que, dans un grand Empire, le Pouvoir législatif doit être
confié à un Corps unique de Représentans, & qu'il dérange absolument le
plan de gouvernement que nous semblions avoir déjà adopté ; c'est que, dans ce
nouvel ordre de choses, le Corps législatif devient nul ; qu'il est réduit à la
seule fonction de présenter des projets qui seront d'abord jugés par le Roi,&
ensuite adoptés ou rejetés par les Assemblées des Baillages. je laisse à
l'imagination desbons Citoyens, le soin de calculer les lenteurs, les
incertitudes, les troubles que pourrait produire la contrarité des opinions
dans les différentes parties de cette grande Monarchie & les ressoucres que
le Monarque pourrait trouver au milieu de ces divisions & del'Anarchie qui
en serait la suite, pour élever enfin la puissance sur les ruines du Pouvoir
législatif.
Et
ce ne serait pas encore-là le seul danger auquel la liberté nationale serait
exposée.
Si
vous songez que le Ministère n'appelera jamais des Loix favorables à ses
intérêts, à quoi se réduit votre prétendu appel au Peuple, si ce n'est à
compromettre, à suspendre ou à anéantir les Loix utiles ou nécessaires au
maintien de la Constitution ? Mais il ne sera pas toujours obligé de recourir à
cet expédient : il en sera dispensé du moins toutes les fois qu'il aura pu
amener les Représentans eux-mêmes à ses vues : or, il faut convenir qu'il
aurait été beaucoup plus inaccessible à ce danger, si, élevant une barrière
insurmontable entre les deux Pouvoirs, vous n'aviez pas donné au Monarque le
droit d'examiner, de censurer leur décrets, & par conséquent la facilité de
négocier, de transiger avec eux ; si, en les mettant ainsi dans sa dépendance,
vous ne les aviez en quelque sorte placés entre la nécessité de s'engager dans
une espèce de procès avec ce puissant adversaire, & la tentation d'acheter
sa bienveillance & ses faveur par des complaisances funestes à l'intérêt
public.
En
un mot, ou bien vous placerez la Puissance législative dans chaque Assemblée de
District, ou vous la confierez à l'Assemblée Nationale. Dan sle premier cas,
celle-ci est superflue ; dans le second, au lieu de l'exercer & de
l'avilir, vous devez lui laisser toute la force & toute l'autorité dont
elle a besoin pour défendre la liberté, dont elle est la gardienne contre les
entreprises toujours formidable du Pouvoir exécutif.
Ce
n'est donc as dans le veto royal, quelque nom qu'on lui done, que vous devez
chercher les moyens de prévenir les abus possible du Corps législatif, lorsque
vous en trouverez de si simples & de si raisonnables dans les principes
mêmes de la Constitution.
Nommez
vos Représentans pour un temps très-court, après lequel ils doivent rentrer
dans la foule des Citoyens dont ils subissent le jugement impartial. Composez
votre Corps législatif, non des principes aristocratiques, mais suivant les
règles éternelles de la justice & de l'humanité. Appelez-y tous les
Citoyens, sans autre distinction que celle des vertu & des talens ; qu'ils
ne puissent pas même être continués après le temps ordinaire de leurs
fonctions. Si ces précautions ne vous rassurent pas, songez que, sans invoquer
le veto royal, tous les avantages que vous semblez attendre du prétendu appel
au Peuple vous sont assuré par la nature même des choses, puisque les mauvaises
Loix seront toujours nécessairement jugées par la Nation, qui connaît sans
doute ses droits & ses intérêts aussi bien que les Ministres, & que les
erreurs d'une Législation peuvent être facilement réformées par la Législature
suivante.
Ajoutez
à cela qu'une Constitution sage doit fixer des époques où le Peuple nommera des
Représentans, revêtus du Pouvoir constituant, pour l'examiner & la revoir,
& qu'elle trouvera, dans cette convention extraordinaire, une sauve-garde
bien autrement utile que laprotection ministérielle.
Si
ces moyens, & tant d'autres, ne peuvent vous déterminer à rejetter le
funeste système du veto, je l'avoue, il ne nous reste plus qu'à gémir sur les
malheurs de la Nation trompée ; car il m'est impossible de concevoir qu'elle
puisse être libre sous l'empire d'une pareille Loi. Et ne me citez plus à cet
égard l'exemple de l'Angleterre... je ne vous dirai pas que les Représentans de
la Nation Française, maîtres de donner à leur Patrie une Constitution digne
d'elle & des lumières de ce siècle, n'étaient pas faits pour copier
servilement une institution née dans des temps d'ignorance, de la nécessité
& du combat des factions opposées... je vous dirai que votre Nation, placée
dans des conjonctures différentes, n'est pas capable de supporter ce vice
essentiel de la Constitution Anglaise, que l'Angleterre reconnaît elle-même,
& qu'il eétoufferait nécessairement la Liberté Française dans son
berceau.
Les
Anglais ont des Loix civiles admirables, qui tempèrent à un certain point les
inconvéniens de leurs Loix politques : les vôtres ont été dictées par le génie
du despotisme, & vous ne les avez point encore réformées.
La
situation de l'Angleterre la dispense d'entretenir ces forces miliataires
immenses qui rendent le Pouvoir exécutif si terrible à la liberté, & la
vôtre vou sforce à cette précaution périlleuse.
Des
révolutions fréquentes, de longs & terribles combats entre la Nation &
le Roi avaient donné aux Anglais un caractère vigoureux, des habitudes fortes,
& cette défiance salutaire, qui est la plus fidèle gardienne de la liberté
; & peut-être y aurait-il de laprésomption à penser que nous qui n'avons
pas subi, à beaucoup près, els mêmes épreuves, nous nous soyons entièrement
corrigés en un jour de cette légèreté de caractère, de cette faiblesse de
moeurs dont on nous avait soupçonné jusqu'aujoud'hui.
Enfin
l'Angleterre a su échapper à cette hydre de l'Aristocratie, qui se nourrit de
la substance des Peuples, & s'enorgueillit de leurs humiliations. Elle vit
encore au milieu de nous ; déjà pleine d'une confiance nouvelle, elle relève
cent mille t^tes menaçantes, & médit de nouvelles trames pour rétablir
sonpouvoir sur les ruines de la liberté, & peut-être même sur les vices de
la Constitution naissante. Combien de germes de tyrannie peuvent se développer
encore à chaque instant, & avec une fatale rapidité dans ce vaste Empire
!
Enfin,
telle est la situation & le caractère du Peuple Français, qu'une excellente
Constitution, en développant cet esprit public & cette énergie que
compromettent le souvenir de ses longs outrages, & les progrès de ses
lumières, peut le conduire, en assez peu de temps, à la liberté, mais qu'une
Constitution vicieuse, une seule porte ouverte au Despotisme & à
l'Aristocratie, doit nécessairement le replonger dans un esclavage, d'autant
plus indestructible, qu'il sera cimenté par la Constitution même.
Aussi,
Messieurs, le premier & le plus noble de nos devoirs était d'élever les
âmes de nos Concitoyens, & par nos principes & par nos exemples, à la
hauteur des idées & des sentimens qu'exige cette grande & superbe
révolution. Nous avions commencé à le remplir, & de quel prix doux &
glorieux leur généreuse sensibilité n'avait-elle pas déjà payé nos travaux
& nos dangers. Puissions-nous désormais ne pas rester au-dessous de nos
sublimes destinées ; puissions-nous paraître toujours dignes de notre mission
aux yeux de la France, dont nous devions être les sauveurs ; aux yeux de
l'Europe, dont nous pouvions être les modèles !
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